Sous ce titre, dans la rubrique Le débat, Télérama n°3173 propose un article très actuel dont l’actualité ne date pas d’hier.
Il y est question de la disparition des disciplines scolaires qui ne sont pas économiquement rentables et cependant qui étayent la réflexion, éventuellement contribuent à l’indiscipline car il en est comme le signale une des devises du GIGN qui m’a été rapportée dernièrement par une source autorisée: « Evitez de penser, ça vous empêchera de désobéir ».
De mes humanités, je garde le souvenir d’un prof d’histoire déclarant que, sous le règne de Napoléon III, l’enseignement de l’histoire et celui de la géographie étaient interdits. Matières porteuses de la mémoire et de l’espace, matières parmi d’autres nécessaires pour établir une réflexion construite et la contestation s’il le faut, ce que d’évidence ne souhaitait pas l’empereur.
Un peu plus tard, en 1971, je lisais un texte du PS dans lequel il était écrit que « l’école devait s’adapter au monde du travail ». Cela m’avait désagréablement surpris. Je comprenais qu’un virage était pris par la gauche et que, l’idée ayant été émise, ce n’était plus qu’une question de temps pour qu’elle contamine l’esprit et des uns et des autres.
Alors que le chômage battait son plein, quelques collègues enseignants (pas tous fort heureusement), pressés par l’instant, tenaient l’argument chevillé au corps qu’il s’agissait pour eux de donner les bases utiles, et seulement cela, pour que leurs élèves aient cette chance d’obtenir un emploi, faisant comprendre que tout le reste était fadaise. Faire entendre que de la formation d’un homme on bâtit celle d’un travailleur et que l’inverse n’est pas vrai, je n’y ai pas réussi. De bonne volonté sans nul doute, je jugeais (à tort ?) qu’ils n’avaient pas le sens des priorités efficaces et réalistes
Plus tard, j’analysais la lutte contre l’illettrisme comme le désir patronal d’avoir à disposition une main d’œuvre docile capable de lire des consignes et non comme le souci de voir des êtres humains en capacité de se cultiver. D’ailleurs, les protocoles étaient clairs : savoir lire et comprendre une consigne simple afin de l’exécuter. J’ai fait reproche à cette lutte nécessaire contre l’illettrisme de ne considérer que le travailleur car à ne pas la développer les humanités, à laisser le feu s’éteindre, les cendres refroidir, on se dirigeait, dans le secteur économique, immanquablement vers un appauvrissement de l’inventivité utile au progrès.
Puis vint le gouvernement Raffarin. La philosophie qui ne faisait déjà guère recette auprès du public a été sacrifiée, les profs de philo invités à devenir inspecteurs de l’éducation (je ne sais plus si elle est toujours nationale).
De la sorte était-on revenu à l’époque de Napoléon III.
Mais la boucle n’était pas encore bouclée. Sarkozy décréta qu’il fallait être « imbécile » ou « sadique » pour mettre La Princesse de Clèves au programme d’un concours. De la sorte était définitivement affirmé que n’était chose utile que ce qui servait à l’économie (et au patronat). Ainsi passait-on de la fadaise à la foutaise.
Et c’est vrai qu’il utile (au patronat) d’avoir des individus qui n’ont que leur force de travail, qu’il est utile d’avoir des individus désarmés. Des esclaves. Mais cela est de courte vue, même si on n’a pas l’intérêt des hommes, il est bon d’avoir celui de la permanence de l’entreprise.
Ceux qui dirigent, en politique comme en économie, ceux qui ont un brin d’intelligence, savent bien qu’il faut être instruit, cultivé, éduqué. Ils ne se privent pas de l’être. A leurs enfants les meilleures écoles dans lesquelles n’entre pas qui veut faute d’argent. Que les autres soient privés de cela ne les gêne pas. C’est ainsi que le pouvoir dure et perdure.
Pour le reste, je vous invite à lire l’article de Catherine Halpern dans Télérama qui se termine ainsi : « On nom de la rentabilité on étouffe les capacités de recherche. Choix malheureux. Car contrairement aux préjugés, les humanités ne sont pas toutes entières tournées vers le passé et ses glorieux vestiges. Elles frayent les voies de l’avenir. Pour transformer le monde, espérer trouver d’autres voies à ce qui se présente comment des impasses aujourd’hui, par exemples les périls environnementaux, ce ne sont pas seulement de nouvelles technologies dont nous avons besoin mais aussi de nouveaux regards sur le monde et sur l’humain ».
L’article fait état de 2 livres :
L’avenir des humanités. Economie de la connaissance ou culturelles de l’interprétation ? d’Yves Citton. Editions la Découverte.
Cogitamus. Six lettres sur les humanités scientifiques de Bruno Latour. Editions La Découverte.