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21 mai 2012 1 21 /05 /mai /2012 06:05

Essai. Quelques réflexions suite à une réunion publique.

 

« Etes-vous pour une éducation à la paix ? ». La question a de quoi surprendre, elle a son verso : « Etes-vous pour une éducation à la guerre ? ». Faire droit de cité à l’une n’est-ce pas accorder droit de cité à l’autre ?

 

Je ne goûte guère l’éducation à….. Même à la paix qui à ma faveur. Je préfère l’éducation qui nourrit l’esprit et de cette provende tente patiemment, longuement, d’étayer un esprit libre, épris de justice et de fraternité pour lui donner à aller sur le chemin de l’humanité.

 

La question formulée ainsi m’incline à penser que vouloir procéder à une éducation à la paix me paraît plus proche du dressage que de l’éducation. Et, pour tout dire, un peu court quand ceci est proposé sur le modèle de réunions Tupperware, car, était-il ajouté : « Il faudrait que nous puissions entrer dans les écoles. Cela nous est refusé ».

 

Là encore, je n’entends pas qu’un mouvement (une association), même pourvu des meilleures intentions, puisse entrer dans les écoles, parce que telle est son intention. Elle s’ouvre déjà à trop de choses, et étouffe sous elles, qui ne sont pas sa mission pour qu’on mette un terme à ce phénomène intrusif, d’autant que le temps n’étant pas extensible, cette ouverture se fait toujours au détriment de. Par contre, les enseignants, dans le cadre de leur enseignement, peuvent choisir de solliciter tel ou tel ; mais l’école n’a pas à se soumettre aux humeurs qui traversent la société civile.

 

Et, dans la même bouche, dans le même élan, sont évoqués : l’écologie, la préservation de l’eau, le désengagement de l’Otan…, le conflit israélo-palestinien, toutes choses dont on cherche ce qui les lie entre elles, sinon peut-être cette appétence qu’ont quelques uns pour les causes désespérées et qui les fait saints, le plus souvent au rabais.

 

L’éducation à la paix fait l’hypothèse que chacun, sans exception, sans mollesse, va souscrire à ce désir de paix. En est-on si sûr ? Il n’est que d’observer la nature humaine (qui ne sera jamais parfaite), pour remarquer que même les plus ardents défenseurs de ceci ou cela ont quelques hésitations (pour ne pas dire plus) lorsqu’ils sont concernés et courent le risque de perdre quelque chose. C’est dire que nous sommes davantage enclins à la vertu lorsqu’elle ne nous coûte rien.

 

Pour mettre en œuvre une éducation à la paix, telle que la chose est présentée, il faudrait en garantir la réussite, qu’il y ait, selon l’expression de l’époque, une obligation de résultat. Faute d’y parvenir, on aurait procédé au désarmement des uns (souvent les plus faibles) au bénéfice des autres (essentiellement les plus forts) ; ce qui ne peut être le but que de mettre à la merci. 

 

Je préfère un esprit construit avec méthode que soumis au prêchi-prêcha.

 

Toute éducation suppose le long temps.

 

Si on souhaite la paix, puisque son éducation est proposée, qu’on développe l’esprit de coopération au détriment de celui de compétition et de performance. Qu’on instruise de l’esprit de fraternité plutôt que de celui d’individualisme. Qu’on apprenne que l’intérêt particulier doit céder devant l’intérêt collectif. Que le « je » est appelé à s’inscrire dans le « nous », dans lequel il ne se perd pas mais trouve sa pleine puissance et son épanouissement. Montrons que souvent notre préoccupation religieuse, politique est davantage une croyance lorsqu’elle est liée à notre appartenance sociale plus qu’à la raison. ….

 

Cela, l’école peut en être porteuse. Elle peut et sait le faire, et l’a fait. Nous sommes alors dans le champ politique. Il faut encore que l’Etat ait ce projet, projet progressivement perdu. Pour cela, qu’on réintroduise à l’école l’enseignement de la philosophie, qu’on redéveloppe celui de la géographie et de l’histoire, …. qu’on fasse de l’instruction civique, qu’on préfère les têtes bien faites à celles bien pleines (encore qu’il n’y a pas incompatibilité), qu’on prépare chacun à la raison critique qui doute,…nous serons sur le bon chemin.

Mais il est vrai aussi que par le comportement individuel, par l’exemple que nous proposons aux autres, surtout à nos enfants, chacun peut éduquer à la paix.  

 

Eduquer à la paix suppose encore que nous sommes entre égaux. Ce qui n’est pas assuré. Car même dans la discussion (orale et écrite), il y a un plus fort et un plus faible. Un qui est mieux armé que l’autre. Et c’est toujours le rôle de l’école que de proposer à tous l’accès à cette égalité des armes.

 

On évitera aussi de proposer, voire promouvoir, ces mots merveilleux néanmoins fourbes.

Celui-ci par exemple : consensus. Ne fait-il pas la part belle à celui qui maîtrise la langue et l’art de tenir du raisonnement ? N’est-ce pas au non du consensus que les ouvriers se font enfler depuis des décennies ? Tandis que le conflit, terme éminemment guerrier, pris en charge, assurait dans le rapport de forces, un bien meilleur rendement. N’est ce pas le conflit qui dans la psychologie piagétienne conduit au nouvel équilibre toujours situé au dessus de l’équilibre antérieur.

Ou prenons cette expression qui fait fureur depuis quelque mois : démocratie apaisée. Dans la bouche de qui la trouve-t-on ? Des ouvriers ? De ceux qui sont en bas de l’échelle sociale ? De ceux qui subissent toutes les formes d’injustice ? Non ! Dans la bouche de ceux qui commencent à craindre que cela tourne mal pour eux. On les comprend.

Devrions-nous supprimer de notre vocabulaire le mot : lutte, alors même qu’on le rencontre dans le champ syndical, politique (lutte des classes), …. parce que cela ferait de nous de soi-disant barbares,… et pour le remplacer par quoi et qu’elle autre manière profitable à l’établissement du respect et de l’égalité, du droit lorsqu’il améliore le sort.

Les prosélytes de l’éducation à la paix, ainsi qu’il est proposé, auraient-ils condamnés la révolution française ? Je me pose la question.

Comme je me pose cette autre question. Eduquer à la paix : est-ce éduquer au pacifisme ou à être pacifique ? 2 choses bien différentes et qui, pour être proches, ne sont pas tout à fait de même nature.

 

On objectera que le conflit syndical et le conflit militaire ne sont pas de même nature. Certes, mais l’esprit l’est.

 

Je n’ai pas répondu, lors de la réunion, ainsi que je le fais là, conscient que le sujet est plus large que ce que j’en écris là, sinon pour dire qu’il fallait que l’école participe à la construction d’un esprit responsable et libre. Pourquoi n’ai-je pas répondu ? Parce que les personnes qui interrogeaient ainsi n’attendaient pas le débat, seulement que l’on s’aligne sur leurs positions, sinon….c’était la guerre. Curieux ! N’est-ce pas ?

 

L’histoire est emplie de croisés, de conversions conduites manu-militari, le livre saint (au contenu renouvelé, question d’époque ; aujourd’hui ce sont les droits de l’hommisme) dans une main, l’épée dans l’autre, pour que je n’aie pas quelque méfiance à l’égard de ceux, aux yeux fiévreux, qui, ayant la vérité révélée, s’en vont sur les chemins s’assurer de leur paradis avec la peau des autres.

 

S’il faut bien changer les esprits (esprit critique, coopération, nous,…), il faut davantage encore, pour donner à concevoir la paix, changer les politiques car c’est de leur contenu aussi dont dépendent les mentalités. Vouloir la paix, c’est entamer le processus du désarmement, donner à l’Onu, dégagée de toute tutelle, l’autorité de régler les conflits,….. C’est un autre sujet.

 

Note

« La paix »

« La paix humaine suppose l’unité (des prolétariats, des peuples, des nations), qui suppose la loi (l’arbitrage). La politique magique connut son apogée…..dans l’entre-deux-guerres, bref moment d’éternité…..qui déclarait rien moins que la guerre hors-la-loi……Il y avait…..un je-ne-sais-quoi d’asexué, de feutré, de lénifiant, que les vents océaniques devaient bientôt balayer. Avant de faire une doctrine, la gauche évangélique, pour qui tout recours à la force relève du pêché, était et reste une sensibilité, voire un imaginaire, plus qu’un programme. La diplomatie des lacs demeure sa nostalgie secrète, tant l’air pur, les azalées,…s’accordent à la primauté du droit sur la force…..L’eau douce porte au bien, et le lac à l’élévation. Staline, à Yalta,….réussit presque à faire prendre à Roosevelt la mer Noire pour le lac de Genève. Ni Churchill sur place, ni de Gaulle de loin ne furent dupes. Ce n’étaient pas des âmes pures mais fortes, et ils savaient faire le partage du souhaitable et du possible……….D’un fait aussi constant que navrant : les relations internationales ne sont pas de nature démocratique, car les Etats ont la funeste nature de se rendre justice eux-mêmes, ce qui est interdit aux citoyens de ces mêmes Etats. En interne, la règle de droit peut neutraliser les inégalités de forces, de revenus et d’influence. A l’international,….., elles s’imposent in fine. Une puissance démocratique supérieurement équipée a-t-elle jamais respecté le droit des gens pour mater les plus faibles qu’elle tenait sous sa coupe ? L’Angleterre en Inde ? Les Etats-Unis en Amérique latine ? La France en Afrique du Nord ? Israël en Palestine ? Etats de droit au-dedans, Etats voyous au dehors………Cette dissymétrie des droits et devoirs entre forts et faibles, qui refuse de l’affronter commence par brasser du vent et finit par embrasser le plus fort…..C’est ainsi qu’un idéaliste finit en supplétif dans de contre-productives expéditions coloniales aujourd’hui imposées par la « solidarité atlantique » au nom de la défense des droits de l’homme….. Toute mystique devenue politique appelle une comptabilité en partie double. »

p174 à 178  de Le moment de fraternité de Régis Debray folio/essais

 

On lira aussi, de Cornélius Castoriadis : Thucydide, la force et le droit. Collection : la couleur des idées au Seuil

 

 

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commentaires

I
Il y a quelques pertinences dans les propos d'Exergue. L'éducation ne peut pas être à la paix, à la guerre, au consensus ou au conflit, puisqu'elle a pour objet la transformation d'un sujet<br /> individuel en être universel pensant. Et ce passage de l'animal à l'homme ne peut se faire que si la pluralité des choix est maintenue dans l'utilisation des connaissances acquises. Ce qu'il faut<br /> savoir cependant c'est que réside toujours en nous, et ce désir de paix et ce pouvoir de guerre, qui façonnent nos choix. Ainsi comment est il possible de vivre en paix quand autour de nous la<br /> guerre tue. Comment ne pas entrer en guerre contre des messages qui se veulent apaisants et dont on sait qu'ils sont de purs mensonges ? Comment rester serein quand les Grecs qui n'y sont pour rien<br /> doivent payer une dette qui les étouffent ? Nous vivons donc dans un monde ou guerre et paix vivent en concubinage concurrenciel. Et Exergue a raison qui revendique le collectif à l'individuel, la<br /> solidarité à la concurrence, le social au particulier. Et c'est sur ce point particulier que l'Education nationale doit avancer résolument. Donner de l'importance au travail collectif des<br /> enseignants et des élèves, retenir les initiatives fondées sur l'association des uns et des autres au sein d'association, annoncer quelques évaluation relatives à des rôles sociaux encore peu ou<br /> pas reconnus. Ce n'est bien évidemment pas dans l'immédiat que tout peut être infléchi, mais la durée d'un mandat présidentiel peut être un point de repère temporel suffisant. Si l'école<br /> républicaine doit être refondée c'est en prenant le parti d'une reconnaissance du collectif.
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