A cet instant où il est question de nationaliser des entreprises pour les ‘sauver, en s’empressant d’ajouter ‘provisoirement’ - ce qui signifie que la nationalisation n’est pas la tasse de thé de ce gouvernement -, il n’est pas inutile de rafraîchir ses connaissances, afin de ne pas socialiser des pertes pour plus tard privatiser des profits. Afin aussi de nationaliser tout court et de retrouver le sens du service public.
Dans le premier texte, Jean-Pierre Dacheux (docteur en philo et membre de la LDH), citant Pierre Sémard, fait état de la démocratie sociale : « La nationalisation n’est pas, comme certains le pensent ou le disent, l’étatisation, c’est-à-dire la gestion par l’État, mais une gestion réalisée par les représentants des grandes collectivités, des usagers, du personnel, et de l’État. » Et de préciser : « une grande entreprise est nationalisée lorsqu’elle n’est plus exploitée qu’en vue des besoins de la communauté et qu’elle n’a d’autre but que de procurer aux consommateurs le maximum d’utilité et d’économie. Et enfin : « Nous déclarons encore que l’État ne doit pas être à la fois propriétaire et gestionnaire ».
Dans le second texte, d’Olivier Beaud (professeur de droit public), il est davantage question de d’indépendance et de souveraineté nationale. « … La seconde partie du programme du CNR, fixant les « mesures à appliquer dès la Libération du territoire », est intéressante en ce qu’elle propose diverses justifications de la nationalisation. La première justification est tirée de l’idée de souveraineté nationale conçue comme une indépendance politique qui suppose l’indépendance économique. La seconde justification de la nationalisation est ce qu’on pourrait nommer une sorte de justice politique qui aboutira à la « nationalisation-confiscation » opérée au détriment des « traîtres » ou des biens ennemis étrangers1. Mais la dernière justification la plus importante est cette idée très prégnante à l’époque de la démocratie économique et sociale. « Afin de promouvoir les réformes indispensables : a) sur le plan économique », le CNR propose « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ; (…) le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques. » Il y a là dans cette justification un élément moral très marqué qui consiste à opposer l’intérêt général aux intérêts particuliers qui, s’ils sont très puissants, aboutissent à créer des privilèges au profit de nouvelles féodalités. L’État est ici convoqué pour être l’instrument permettant de vaincre ces bastilles économico-sociales et promouvoir les droits économiques et sociaux des individus. La démocratie politique est, dans cette conception, indissociable de la démocratie économique. L’État de droit, déconnecté des droits sociaux, est un leurre pour les citoyens : telle est la conception qui résume assez bien la pensée des rédacteurs de ce programme de la Résistance. Une telle conception aura un aboutissement dans le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dans son neuvième alinéa : « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »
Exergue
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‘La nationalisation n'est plus une étatisation’, par Jean-Pierre Dacheux
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Nationalisations et souveraineté de l’État, par Olivier Beaud