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24 mars 2019 7 24 /03 /mars /2019 15:33
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Publié le 22/03/2019 à 16:00

Jeune chercheuse en philosophie à la Sorbonne, spécialiste du néoplatonisme, elle est notamment intervenue à Oxford, Londres et Cambridge

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Alors que les nouveaux programmes de philosophie de terminale ont été communiqués aux professeurs, une jeune chercheuse lance une pétition contre la suppression de certains thèmes comme le travail et l'inconscient. Elle redoute la mise à mort de la pensée critique.

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Dans la liste présentée par le Conseil supérieur des programmes (CSP) à l'Association des professeurs de philosophie de l'enseignement public (APPEP) du nouveau programme de philosophie de terminale, le Travail, infrastructure collective ainsi que l'Inconscient, fondement même de la conscience humaine, disparaissent au profit d'une scolastique destinée à exploiter le sentiment de vide des jeunes, et d'une phénoménologie de l'ineffable (c'est-à-dire l'impensable) et de l'instant présent, toutes deux problématiques lorsqu'elle ne sont pas accompagnées d'une véritable pensée critique socio-politique.

NI MARX, NI FREUD

Exit Marx et Freud (qui demeurent ironiquement au programme) comme parangons du Travail et de l'Inconscient, c'est-à-dire du matérialisme historique et de la psychanalyse... et bonjour Augustin et Thomas d'Aquin ! La scolastique médiévale et le culte de l'impensable d'un côté, le behaviorisme réductionniste de l'autre. En d'autres termes, le futur bachelier deviendra un cadre d'entreprise rompu à la rhétorique, qui se pique d'un mysticisme diffus pour pallier son défaut de conscience politique et idéologique – et donc un allié de choix pour l'ordre établi.

Cette dérive socio-politique et culturelle est non seulement régressive et indigne des héritiers des Lumières que nous sommes : il met en péril la liberté de penser, fondement de notre République et de notre Constitution.

Car non, le problème n'est pas l'idée de Dieu, essentielle à aborder en postmodernité, mais l'instrumentalisation évidente dans le nouveau programme de la problématique religieuse contre celles que l'on veut injustement faire disparaître. Les notions de religion, de divin, de travail et d'inconscient, loin d'être incompatibles, vont de pair. Il nous faut cependant rappeler que toute métaphysique et toute théologie ont pour corolaires un certain système politique, et que ce dernier n'est jamais neutre – il suffit pour cela de relire la République de Platon. Supprimer le Travail (cocasse lorsqu'on connaît les derniers affres de son Code) et l'Inconscient au profit d'un déséquilibre insensé, c'est supprimer toute possibilité de développer une conscience politique chez les élèves.

Cette dérive socio-politique et culturelle est non seulement régressive et indigne des héritiers des Lumières que nous sommes : il met en péril la liberté de penser, fondement de notre République et de notre Constitution. La supercherie ne doit pas être passée sous silence, mais exposée sur la place publique et correctement contrée.

Jean-Michel Blanquer, en président de l'ESSEC digne de ce nom (faut-il le rappeler?), ne se contente pas de semer la pagaille dans les séries lycéennes : il prétend également fondre la Philosophie dans une nouvelle matière, “Humanités, littérature et philosophie”, culture générale au pire sens du terme - celui qui en mélangeant tout, détruit tout et ne signifie rien. Car à travers cette fumisterie, c'est l'enseignement même de la philosophie en France qui est menacé dans sa structure et sa raison d'être : l'éveil et la transmission de l'esprit critique, menacé par le formatage de la pensée.

Lachelier, en 1889[1], rappelait combien il est essentiel que les élèves "voient leur professeur penser devant eux pour s'exercer à penser eux-mêmes avec lui". Mais comment penser sans critiquer, en n'existant plus comme discipline à part entière et en passant sous silence les deux rouages de nos sociétés, les réalités du travail et de l'inconscient ?

UN LAVAGE DE CERVEAU

Comment nos futurs travailleurs doués d'émotions comprendront-ils les principes qui sous-tendent leur activité quotidienne sans aucun repère pour les guider ? Rien de mieux pour élever une masse de soldats obéissants en lieu et place d'un peuple, que l'on habitue à ne pas questionner le système politique dans lequel ils vivent. Contre la propagande et le lavage de cerveau déjà dangereusement bien engagé, luttons par nos plumes et notre indignation ! Nous ne sommes pas les esclaves d'un maître tyrannique qui appliquons sans broncher les directives d'en haut. Ne l'oublions pas : c'est à nous qu'incombe la responsabilité de former la génération future d'individus éclairés ou lobotomisés. La pensée critique est en voie de disparition dans sa propre patrie si on la chasse dans les bastions mêmes qui l'abritent.

Nous ne resterons pas les bras croisés pour contempler le naufrage.

Nous devons agir vite - et bien.

Philosophes de l'enseignement secondaire comme du supérieur, enseignants de toutes les disciplines et intellectuels, unissons-nous ! Faisons entendre nos voix pour que la pensée réelle continue de vivre en France, dans nos écoles et dans nos consciences !

Nous ne resterons pas les bras croisés pour contempler le naufrage.

En conséquence, nous rejetons formellement 1) la disparition des notions de Travail et d'Inconscient du programme de terminale et 2) la dissolution de la Philosophie elle-même dans le fourre-tout HLP dont on comprend bien l'intention : entraîner aux concours des écoles de commerce et fournir un vernis de culture à nos élèves que l'on entend désormais former à l'imposture intellectuelle.

Nous exigeons, conformément à nos droits et devoirs 1) que la Philosophie ne soit pas fondue dans le cache-misère de la matière HLP, pour sa dignité et son existence à part entière et 2) que les notions de Travail et d'Inconscient, essentielles à la compréhension d'une société mondialisée et à la médicalisation des passions que prône le DSM-5[2] ne soient pas supprimées du programme de terminale.

Vous pouvez signer la pétition d'Andreea-Maria Lemnaru-Carrez


[1] Jules Lachelier, Rapport sur l'enseignement de la philosophie, 1889, repris dans Corpus, Revue de Philosophie, numéro 24-25 Lachelier, 1994, p. 191-194.

[2] Le DSM-5 est depuis février 2018, la dernière et cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l'Association Américaine de Psychiatrie. Cette nouvelle version du manuel, également adoptée en Europe par les behavioristes, a fait l'objet de critiques quant à sa scientificité et aux intérêts pharmaceutiques.

 

Complément :

 

 

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