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16 décembre 2018 7 16 /12 /décembre /2018 07:19

Source : https://www.liberation.fr/debats/2018/12/03/gilets-jaunes-une-reaction-a-l-explosion-des-inegalites-entre-les-super-riches-et-les-classes-moyenn_1695788

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Pour la philosophe Chantal Mouffe, inspiratrice de la France insoumise, Macron incarne le stade suprême de la post-politique néolibérale: c'est pourquoi l'opposition ne peut passer que par la rue.

 

Professeure à l’Université de Westminster, à Londres, la philosophe belge a théorisé le «populisme de gauche», concept-clé pour comprendre les évolutions de la gauche radicale. Elle prône une vision conflictuelle de la démocratie.

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Le mouvement des gilets jaunes est-il un populisme ?

On vit clairement une situation populiste. Par populiste, il faut entendre l’établissement d’une frontière politique entre ceux d’«en bas», «nous», le peuple, et ceux d’«en haut», la «caste». Cette construction d’une nouvelle frontière est le résultat de l’émergence de toute une série de résistances à trente années d’hégémonie néolibérale qui ont instauré une post-démocratie. Cette post-démocratie se caractérise par la crise de la représentation politique et la crise du système économique néolibéral. D’abord, les citoyens ont le sentiment de ne pas avoir de véritable choix entre les différentes offres politiques, ils ne distinguent plus le centre droit du centre gauche. Et se demandent pourquoi aller voter. C’est un mouvement de fond commun à toute l’Europe occidentale. C’est ce que j’appelle «l’illusion du consensus» : les individus ont l’impression d’être oubliés, ils veulent qu’on les écoute. L’un des slogans des «Indignados» en Espagne était : «Nous avons un vote, mais nous n’avons pas de voix.» Il s’agit ensuite d’une réaction à «l’oligarchisation» de la société et qui se caractérise par l’explosion des inégalités économiques, entre un groupe de super riches et la classe moyenne.

Pourquoi les gilets jaunes se focalisent-ils sur Macron ?

Ce mouvement ne peut pas avoir de solution à long terme sans une profonde transformation. Or, la politique d’Emmanuel Macron essaye de renforcer la politique néolibérale qui a engendré la contestation actuelle. Il considère que le problème de la France est de ne pas avoir été suffisamment loin dans les réformes, notamment dans la remise en question de l’État-providence dans la droite lignée de la politique de la troisième voie engagée par Tony Blair en Angleterre. Macron est le stade suprême de cette post-politique. Non seulement, il est un président mal élu. Mais en plus, il a réussi à neutraliser l’Assemblée en gagnant une majorité écrasante de députés, rendant le travail de ses membres obsolète. De fait, il ne reste plus que la rue pour s’opposer à la politique du gouvernement.

Sur quel type de mouvement politique les gilets jaunes peuvent-ils déboucher ?

Cette forme antipolitique peut être articulée dans la direction d’un populisme de droite ou celle d’un populisme de gauche. J’ose croire que la tournure actuelle des événements ouvre des perspectives vers un mouvement politique populiste de gauche. Le fait que les collectifs antiracistes comme le comité Adama et le Comité Rosa-Parks se soient mêlés aux manifestants de la France périurbaine ce samedi va dans ce sens. Cela montre qu’il y a déjà une jonction entre une France rurale, qui a initié le mouvement, et les quartiers populaires. Ils ont compris qu’ils avaient des intérêts communs. Toute la question est de savoir comment ces revendications vont être articulées.

Que manque-t-il pour que ces prémices insurrectionnelles se concrétisent politiquement ?

C’est tout le propos de François Ruffin qui veut allier la petite bourgeoisie intellectuelle, les gens de Nuit Debout pour le dire vite, aux gilets jaunes. Si ces deux composantes ne parviennent pas à s’articuler aux revendications féministes, antiracistes et ouvrières, les possibilités de construire politiquement un peuple de gauche seront très limitées.

Les gilets jaunes doivent-ils s’organiser autour d’un leader ?

Pas nécessairement. Même si, selon moi, un chef, au moins symbolique, peut parvenir à cristalliser les affects qui s’expriment dans la colère sociale. A-t-on déjà vu un mouvement politique important sans leader ? Son rôle pourrait permettre de mobiliser les passions collectives. Car le mouvement des gilets jaunes rappelle combien les émotions sont importantes en politique. Ce que les technocrates ont totalement oublié.

Peut-on le comparer au Mouvement Cinq Etoiles en Italie ?

Le caractère nébuleux et horizontal du mouvement avec comme pour seul adversaire Macron rappelle en effet les origines du Mouvement Cinq Etoiles. Comme lui, il n’est ni de droite ni de gauche et prend pour le moment une forme hétéroclite et antipolitique. C’est un rejet de tout ce qui à avoir avec les partis politique et ce qui représente l’establishment. Si les gilets jaunes ne trouvent pas de forme politique institutionnelle, il n’est pas dit qu’il ne prenne pas une tournure dangereuse. C’est ce qu’il s’est passé avec Cinq Etoiles. Depuis son entrée au gouvernement, le mouvement adopte une posture droitière. C’est un enjeu auquel sera confronté le mouvement des gilets jaunes s’il perdure.

Par Simon Blin

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