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28 février 2011 1 28 /02 /février /2011 06:23


Texte de Alain Badiou, tiré du livre : « La relation énigmatique entre philosophie et politique ». Editions Germina.

 

« Ces dernières semaines, justement, dans notre pays, il est une fois encore prouvé qu’il existe une disposition populaire pour inventer dans la nuit quelques formes neuves du matin………Vous savez qu’il existe quatre grands ensembles dont, à s’en tenir aux vingt dernières années, nous savons pouvoir attendre qu’ils échappent aux mornes disciplines de l’état des choses. Nous le savons, puisque chacun de ces collectifs, dans la forme encore politiquement limitée mais historiquement certaine du mouvement de masse, a donné la preuve d’une forme d’existence irréductible aux jeux de l’économie et de l’Etat….

Nommons la jeunesse étudiante et lycéenne, soucieuse d’existence et d’avenir, qui a, il n’y a pas si longtemps, remporté la victoire sur la question du CPE. Mouvement vif et assuré, victoire à coup sûr, mais subjectivité prometteuse.

Nommons, la jeunesse populaire, harcelée par la police et la stigmatisation, dont les émeutes enflamment périodiquement cortèges et cités, et dont l’obscure obstination rebelle, venue du fond des temps, et gouvernée par le seul impératif « on a raison de se révolter », a au moins le mérite de faire trembler les gens installés.

Nommons la masse des salariés ordinaires, capable sur le seul mot d’ordre « ensemble, tous ensemble » de tenir en plein hiver, pendant des jours, d’immenses rassemblements, mobilisant dans certaines petites villes de province jusqu’au tiers de la population totale.

Nommons enfin les prolétaires nouveaux venus, africains, asiatiques, venus de l’Est. Situés comme toujours, et depuis le dix-neuvième siècle, au centre stratégique des vraies politiques possibles, sans papiers ou avec, sachant s’organiser, marcher, occuper, dans la longue guerre de résistance pour leurs droits.

Nous savons que la moindre liaison entres ces ensembles, tout ce qui peut produire leur inséparation, ouvrira une nouvelle séquence de l’invention politique. L’Etat n’a pas d’autre tâche capitale  que d’interdire, par tous les moyens, y compris violents, toute connexion, même limitée, entre la jeunesse populaire dite « des cités » et les étudiants, entre les étudiants et la masse des salariés ordinaires, entre ces derniers et les prolétaires nouveaux venus, et même, pourtant d’apparence naturelle, toute connexion entre la jeunesse populaire et les prolétaires nouveaux venus, entre les fils et les pères ; ……………………

La seule force qui a réussi parfois à durer rassemble des intellectuels militants et des prolétaires nouveaux venus. Là s’expérimentent, dans la forme d’une action restreinte, les ressources d’une longue marche politique qui ne devrait rien à la duperie parlementaire et syndicale.

La lueur la plus récente que perçoit l’œil philosophique est que des connexions de ce genre, des connexions que s’acharne à proscrire le front uni de l’Etat, des directions syndicales et des partis, « gauche » en tête, sont ces derniers jours tentés. Des groupes composites se forment et se donnent à eux-mêmes des tâches précises : occuper ceci ou cela, réaliser une banderole vengeresse, animer le mollasson cortège syndical…Alors, peut-être aujourd’hui, demain… 

Saluons en tous cas ce qui se passe, cette sorte de ténacité pour en finir avec l’emblème de la corruption étatique, celui dont on me rendra au moins cette justice que c’est trop tôt que j’ai dit à quel point il pouvait nous nuire, et de quoi, à ce titre, il était le nom* ». p29 à32.


*Allusion au livre : De quoi Sarkozy est-il le nom ?

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