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21 avril 2017 5 21 /04 /avril /2017 23:39

Source : http://www.lepoint.fr/presidentielle/jacques-genereux-le-monsieur-economie-de-melenchon-21-04-2017-2121595_3121.php

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Il se dit "anti-marchéiste" et souffle à l'oreille de Jean-Luc Mélenchon. Portrait d'un universitaire engagé qui n'aime pas vraiment la politique.

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Vous l'avez peut-être entendu à la radio, ou vu sur les plateaux télé, défendre de sa voix calme le programme économique de Jean-Luc Mélenchon. Il est souvent présenté comme le conseiller du candidat, ou le futur locataire de Bercy. Mais Jacques Généreux n'aime pas les étiquettes ni les raccourcis : il serait capable de consacrer vingt minutes de son temps précieux à démontrer votre « ânerie ». Pour la version officielle, que l'on pourrait lire sur la page de couverture d'un de ses bouquins, Jacques Généreux, 60 ans, est économiste, maître de conférence à Sciences Po, cofondateur du Parti de gauche, et codirecteur de la rédaction du programme de La France insoumise. Cela fait près de trente ans qu'il publie des ouvrages économiques, certains font partie des classiques, d'autres très critiques à l'égard du « marchéisme » – il n'aime pas employer le mot « libéralisme ». Depuis quinze ans, il côtoie le candidat de près.

Dans son dernier ouvrage, au titre assez explicite, Les Bonnes raisons de voter Mélenchon, il invite ses lecteurs à « réfléchir » et à « faire l'effort de l'intelligence ». Critique du « capitalisme financiarisé », constat de l'échec des politiques de rigueur, puis mise en contexte et explication des mesures nécessaires à la relance de l'économie : l'ouvrage est clair et pédagogique. Quand on le rencontre dans son bureau aux éditions du Seuil, où il dirige une collection, on lui demande tout naturellement de parler de lui. « La chose que j'aime le moins faire », avoue-t-il. Il tient à le faire comprendre : ce sont les idées qui l'intéressent. Il n'est pas là pour les bisbilles politiciennes, les stratégies électorales, les batailles de poste. Jacques Généreux est d'abord un universitaire, guidé en politique par ses convictions.

« J'ai compris que l'économie était le nerf de la guerre ! »

Petit, il voulait être prêtre, explorateur, archéologue, officier, puis officier dans la marine. Bref, il s'est toujours vu « œuvrer pour l'intérêt général ». Sa « famille gaulliste chrétienne » lui a appris le « sens de la vie » : « Ce qui importait vraiment était d'être au service des autres, l'égalité, la justice sociale. J'ai reçu tout ça et je l'ai traduit… À gauche. » Passionné par les débats politiques, il remarque que les invités des plateaux télévisés ont souvent fait Sciences Po et l'ENA. « À 15 ans, j'ai décidé de ces études pour comprendre la société. C'était la meilleure façon de m'engager en politique. À cet âge-là, mes copains étaient intéressés par les filles. Moi, c'est venu plus tard ! »

À Sciences Po, le jeune étudiant n'a pas le temps pour le syndicalisme étudiant : « Je faisais des activités sociales avec Les petits frères des pauvres. Je visitais plusieurs personnes dans la semaine et j'y consacrais une partie de mes vacances. » Pour l'après, Jacques Généreux hésite. Finalement, il abandonne l'idée de l'ENA : « J'ai compris que l'économie était le nerf de la guerre ! » Dès le début, il « fait le tri », et penche bien vite du côté keynésien.

Tout commence dans un train

Son doctorat d'économie terminé, il se juge « suffisamment compétent » et s'engage au PS en 1980. Il a 24 ans. « J'ai constaté que les partis politiques, c'était d'abord des gens se battant pour des postes. Et puis, à partir de 1983 et des politiques de rigueur, ce n'était plus vraiment la gauche. Donc j'ai pris mes distances avec le PS. »

Dès le milieu des années 90, il s'intéresse de nouveau au parti, sur son aile gauche. En 2002, il participe à la fondation du courant Nouveau Monde initié par Henri Emmanuelli. C'est là qu'il sympathise avec Jean-Luc Mélenchon. « Avant, on se croisait à peine. Pour moi, c'était juste un nom. » Les deux se retrouvent par hasard dans le même train de retour d'Argelès-sur-Mer, après le congrès de lancement. « On a parlé pendant des heures. Très vite, la conversation s'est située sur des sujets philosophiques. J'ai vu que cette image d'affreux trotskiste anticlérical qu'on lui donnait était totalement fausse ! »

Ils n'ont pas cessé de travailler ensemble depuis. Défendant le « non » au référendum de 2005 sur la constitution européenne. Espérant ensemble la victoire de la gauche du PS aux différents congrès. En 2006 pour la primaire, le mouvement se retrouve orphelin. « Emmanuelli ne voulait pas y aller, Jean-Luc non plus… » Tous deux soutiennent Fabius, le seul à avoir dit non en 2005. Arrive la défaite de Ségolène en 2007, « cette espèce de mélasse centriste new wave », puis la crise économique de 2008 qui, ils l'espèrent, validera auprès des adhérents leur critique du « capitalisme financiarisé ». Sauf qu'au congrès de l'automne 2008, la gauche du PS fait « son pire score depuis vingt ans ». « On s'est dit qu'on n'avait plus grand-chose à faire au parti. »

« C'est à la fois une conscience et un intellectuel du parti »

Le Parti de gauche est créé en 2008, et Jacques Généreux devient son secrétaire national à l'Économie. Poste qu'il abandonne en 2013, « par manque de temps », dit-il. Son travail de chercheur passe avant la politique. « Il n'a jamais été dans des discussions stratégiques ou tactiques. Ça ne l'intéresse pas, je crois, juge Éric Coquerel, coordinateur politique du Parti de gauche. Il est resté toujours là, à veiller au programme économique. C'est à la fois une conscience et un intellectuel du parti. » Charlotte Girard, qui a coordonné avec lui le programme de La France insoumise, décrit « quelqu'un de discret, qui choisit ses interventions médiatiques ». « C'est un militant, mais il tient à conserver une image de spécialiste. Il n'a jamais cherché à occuper un poste », ajoute-t-elle.

D'où vient alors son image de ministrable ? « C'est Jean-Luc ! s'exclame Généreux. Quand on arrive dans une réunion, il dit : Voilà mon ministre de l'Économie. Donc maintenant, on m'a collé une étiquette, c'est inscrit sur mon front ! » Pour lui, la politique est synonyme de « soucis », d'« ennemis », de « pertes d'argent », et de « perte de temps sur [son] travail ». L'économiste assure n'être « candidat à rien » et aime à se répéter : « Ce n'est pas à 60 ans que je vais commencer une carrière de politicien ! »

« Il ne supporte pas la médiocrité. »

Guillaume Étievant, qui a succédé à Généreux au poste de secrétaire national à l'Économie au Parti de gauche, le décrit comme « exigeant ». « Comme Jean-Luc Mélenchon, c'est un tempérament. Il a vraiment besoin que les réunions avancent. » À entendre le concerné répéter d'agréables qualificatifs concernant les journalistes ou d'autres économistes – « crétins », « stupides », « imbéciles » – on devine sans peine qu'il place le curseur de l'intelligence très haut. Dans son ouvrage récent La Déconnomie, il tente de comprendre pourquoi les élites, pourtant des « esprits brillants », peuvent à ce point « patauger dans la stupidité » en défendant des politiques économiques de rigueur, inefficaces à ses yeux. « Il ne supporte pas la médiocrité, témoigne Charlotte Girard. Il est pointilleux et tatillon et refuse toute approximation. » La jeune femme se remémore certains « moments où ça gueulait un peu ». « C'est le prof ! C'est sa marque de fabrique. On n'a pas intérêt à dire de bêtises en sa présence. » Effectivement, gare à ceux qui le présentent comme anti-UE dans les médias : « Ce sont des crétins qui n'ont jamais ouvert un seul de mes livres ! »

Généreux adore donner son avis en toutes circonstances. En évoquant les auditions pour l'élaboration du programme de La France insoumise, Charlotte Girard décrit ces « moments où il ne pouvait pas s'empêcher de montrer sa vision des choses, alors qu'on était là pour écouter quelqu'un d'autre ! » À Sciences Po, il base ses cours sur deux de ses livres. « Ses détracteurs voient cela comme un moyen de faire ingurgiter ses positions », témoigne Jean, un de ses anciens étudiants. Louant sa capacité à « parler pendant deux heures sans notes », il décrit l'affluence et les amphis pleins de murmures d'étudiants qui « prennent position ». « C'est quelqu'un qui te fait réfléchir », tranche-t-il.

« Il y a régulièrement des prises de bec avec Mélenchon »

Réfléchir, oui. Mais pas trop vite. Jacques Généreux déteste les simplifications, ces « débats contre-productifs où l'on doit répondre en 45 secondes », ces « chaînes d'info en continu où l'on répète quinze fois la même chose au lieu de s'arrêter une fois suffisamment longtemps pour expliquer ». Il court après le temps, se dit « surbooké », mais en demande plus pour expliquer sa pensée. Invité d'Europe 1 le 6 avril avec Julia Cagé (l'économiste de Hamon), il ne supporte pas de n'avoir que 15 minutes pour aborder cinq sujets différents, et d'être coupé en permanence. Le voilà qui manque de quitter le studio. « Je me suis énervé, j'ai été mauvais », regrette-t-il.

Avec Mélenchon aussi, le ton monte. « Il y a régulièrement des prises de bec, raconte Charlotte Girard. Ce sont deux fortes personnalités et ils sont tous deux très affectifs. Dans ces cas-là, on attend que ça passe... Ils se réconcilient toujours à la fin ! » Jacques Généreux l'admet du bout des lèvres : « En réunion, le débat peut être… vif. Mais en privé, on ne s'engueule pas. » Les deux discutent beaucoup lors de leurs dîners, de philosophie, de la vie, « et pas que de politique ! ». « Il y a une base d'affection qui repose sur la communion, le partage, et l'estime mutuelle. » Éric Coquerel abonde : « Il a une fraternité intellectuelle avec Jean-Luc et une vraie complicité. »

Mais l'universitaire refuse d'être catégorisé conseiller de Mélenchon. « Jean-Luc ne prend pas des décisions seul en réunissant ses conseillers. C'est un long travail collectif. » Jacques Généreux préfère se présenter comme un militant : « Je suis engagé dans un mouvement politique auquel j'apporte mes compétences économiques. » En réalité, il a d'autres chats à fouetter. « J'ai un plan d'écriture jusqu'à 90 ans ! Après, je pourrai faire autre chose. Je ne sais pas encore quoi... » La politique qu'il jure ne pas aimer l'aura peut-être rattrapé d'ici là.

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